Couverture

Charles Ferdinand Ramuz

L’AMOUR DU MONDE

© Librorium Editions 2019

Tous Droits Réservés

I

C’est vers ce temps-là qu’il a commencé à se hasarder jusque dans les rues de la petite ville, ce qu’il n’aurait pas osé faire auparavant, mais il y avait des choses qui n’étaient pas permises et, à présent, elles l’étaient.

Il y avait des choses qui avaient semblé impossibles et qui ne semblaient plus impossibles.

Vers ce temps, c’est-à-dire vers le milieu de mai, il a commencé à s’aventurer jusqu’en plein centre de la ville ; comme il faisait chaud déjà, il portait des vêtements en toile blanche.

Il tenait à la main une branche qu’il avait cassée en passant dans une haie et ayant encore ses feuilles ou même toute fleurie, quand c’était une branche d’aubépine ou de fusain.

On n’a guère fait attention à lui, les premiers jours, sauf que ceux qui n’avaient pas encore eu l’occasion de le rencontrer se retournaient sur son passage, demandant : « Qu’est-ce que c’est que ce particulier-là ? » mais on leur disait :

— Comment, vous ne savez pas ? c’est le pensionnaire du docteur Morin…

— Ah !

— Il croit qu’il est Jésus-Christ.

On riait. Et, lui, continuait sa route, sa branche de feuilles à la main, comme quand on portait autour de Lui des palmes ; – c’était après qu’il avait dit à ses disciples : « Allez me chercher ce poulain d’ânesse », et ses disciples avaient été Lui chercher le poulain.

On est vers la fin de mai ; toutes les fenêtres étaient ouvertes. L’homme s’avançait dans la rue : une tête, de place en place, se penchait hors d’une de ces fenêtres. Il était grand, il était beau, il était large d’épaules ; il portait toute la barbe, il avait des cheveux longs.

Il est arrivé pour finir à une petite place où il y a une fontaine à double tuyau de laiton toujours couvert de sueur, tellement l’eau est froide, et à double bassin de granit ; là, se tenaient quelques femmes dans leurs modestes jupes de toile, dans leurs modestes corsages de toile, tête nue, les manches troussées ; elles parlaient entre elles, en attendant que leurs seaux fussent pleins.

Il était venu jusque sur la place ; voyant de loin les femmes, il s’était arrêté.

Il s’arrête au sortir de la rue et à l’endroit même où elle débouchait sur la place de la fontaine ; il a regardé les femmes sans rien dire, et elles, tout d’abord, n’ont pas pris garde à lui.

Elles étaient trois ou quatre, qui se tenaient sous un petit carré de ciel très bas, peint en bleu, qui était au-dessus d’elles comme un plafond ; et la place sous ce plafond était comme une petite chambre pleine d’ombre, car le soleil n’était pas encore venu jusqu’ici, et il n’y venait que tard et occasionnellement ; pleine de silence aussi, où il y avait seulement la façon de chanter de l’eau qui est de commencer par les notes d’en haut pour finir par les plus basses, il y avait aussi quelques mots échangés, il y avait le cri métal contre métal des seaux qu’on tire sur les traverses.

Les femmes tournaient toujours le dos à l’homme ; elles ne l’ont pas vu tout de suite, ni en même temps ; c’est Mme Reymondin qui l’a aperçu la première.

Il ne bougeait pas, elle n’a pas bougé ; et c’est seulement en voyant Mme Reymondin rester si longtemps immobile que les autres se sont retournées ; elles ont vu l’homme à leur tour ; elles se sont mises aussi à le regarder, qui les regardait donc, qui a continué à les regarder sans rien leur dire.

Pour finir, elles ont baissé la tête. Elles ont baissé la tête, elles la relèvent ; l’homme n’était plus là.

Un petit moment se passe.

Tout à coup, on a entendu Mme Reymondin dire quelque chose.

Et les femmes : « Qu’est-ce que vous dites ? » n’ayant pas compris ; c’est que Mme Reymondin avait parlé très bas et comme pour elle-même.

— Ah ! a-t-elle dit alors… C’est drôle comme il ressemble à l’Autre. Et vous savez qu’on prétend justement qu’il va revenir.

Les autres femmes attendaient une explication qui n’est pas venue ; elles n’ont pas dû comprendre.

Elles n’ont pas pu voir, ni savoir le changement qui se faisait là pour cette autre : c’est pourquoi elles ont pris leur seau par l’anse et leur corps a ployé dans le milieu.

Mme Reymondin, elle seule, n’avait toujours pas bougé.

Pour elle seule, le changement s’est produit ; car c’était aussi, en ces très vieux temps-là, une étroite petite rue ; alors les maisons n’ont pas eu de peine à être seulement un peu plus basses, un peu plus blanches, la pente de leurs toits allant de plus en plus en arrière jusqu’à rejoindre l’horizontale, les trous des fenêtres bouchés.

Mme Reymondin regardait toujours du même côté ; – il y avait à présent cette petite rue toute blanche sur un de ses bords, toute bleue de l’autre. Et cet arbre était un palmier.

Des enfants nus couraient sans bruit dans la poussière.

Il avait une robe blanche. Il avait cette même barbe noire, les mêmes beaux yeux, les mêmes longs cheveux bouclés.

Il y avait là un puits, non une fontaine. Il s’était assis sur la margelle de ce puits, et, avec une branche qu’il tenait à la main, il s’est mis à écrire des choses dans le sable.

C’est alors qu’une femme est arrivée, levant ses bras nus au-dessus de sa tête ; et des hommes la suivaient, une pierre dans chaque main.

Il écrivait toujours avec le bout de sa baguette des choses qu’on ne savait pas dans le sable.

II

Le même soir, la fille de M. Penseyre, qui était sergent-major de gendarmerie et chef du poste de notre ville, a été fermer à clé la porte de l’appartement. Son père venait de sortir, comme il faisait chaque jour à pareille heure, après avoir lu son journal, tout en fumant un cigare, dans la cuisine, sous la lampe électrique à abat-jour de porcelaine.

C’était quand huit heures sonnaient ; et, comme les fenêtres de l’appartement donnaient sur la rue qui mène à la place du Port, elle-même située tout à côté de l’église, le grand décrochement qui avait lieu dans le clocher venait immédiatement à vous, faisant au premier choc se redresser la grosse tête ronde, aux cheveux coupés ras, dans le col d’uniforme bleu bordé de perles blanches.

M. Penseyre, comme toujours, avait été prendre sa casquette pendue au clou ; puis, passant la main à deux ou trois reprises sur sa grosse moustache :

— Eh bien, à tout à l’heure, Thérèse.

Il a fait ensuite demi-tour dans sa belle tunique à une seule rangée de boutons, avec un ceinturon orné d’un gros écusson de même métal ; c’est du cuivre.

Elle avait vite été tourner la clé dans la serrure, sachant bien qu’elle serait seule jusqu’à dix heures…

Pendant ce temps, cette autre est dans son île.

Le naufrage l’a jetée, seule survivante, à la côte ; et, comme Ève, on la voit paraître, vêtue seulement d’une ceinture de feuilles de figuier.

Une Ève sans Adam encore, sur les grands rochers dominant la mer où elle va, le soir, interroger le large et, dans le soleil qui se couche, est vue à contre-jour avec ses cheveux qui lui tombent jusque dans le bas du dos…

Est-ce que les miens vont être assez fournis, assez fins, assez crêpés, assez blonds surtout ? pense Thérèse…

L’autre lève les bras pour appeler sur les falaises, et, dans le bas de la falaise, la mer vient ; on voit entrer l’une après l’autre les vagues dans les anfractuosités du rocher où elles prennent la forme d’une barque ; mais il n’y a point de barque sur la mer pour elle ; elle soupire, ses bras retombent…

Thérèse a été accrocher la lampe électrique au mur tout à côté de son miroir.

Elle ôte le peigne de fausse écaille qu’elle porte enfoncé dans l’épaisseur de son chignon.

Ses cheveux tombent sur ses épaules nues. Elle a fait un mouvement brusque avec la tête, ils lui viennent sur les yeux. Elle les écarte du bout des doigts. Elle ôte et écarte de devant ses yeux ce qui les empêche de voir ; mais ce n’est pas cette toute petite chambre qu’elle voit, son papier à fleurettes bleues, son honnête lit de noyer, ses rideaux en fausse guipure crème, sa table ronde couverte d’un tapis à franges, ce sont toujours les rochers au bord de la mer, où l’autre secoue encore sa grande chevelure parmi les couchers de soleil.

Et, là-bas, on aurait la liberté, pense-t-elle, parce que cette autre, à présent, s’élance du haut des rochers dans les vagues, les prenant dans ses bras comme des bêtes qu’elle fait ployer sous elle à mesure qu’elles viennent ; qui viennent, qui viennent encore, mais elle les a surmontées, élevant alors joyeusement au-dessus de l’eau le haut de son corps en signe de victoire ; puis on la voit aller s’étendre au soleil pour se sécher…

Et Thérèse regarde là-bas, puis se regarde, faisant ainsi aller ses yeux de sa personne réelle à cette autre personne inventée ; et encore une fois, pour une comparaison, elle soupèse ses cheveux, évaluant leur masse, leur souplesse, leur qualité ; pendant que l’autre se tient à présent assise dans une peau de tigre à l’entrée d’une grotte, entourée d’animaux sauvages : des singes, des chacals, des lions ; toujours avec ses beaux cheveux défaits dont elle joue savamment dans la lumière artificielle ou naturelle, de sorte qu’ils sont tour à tour comme un clair de lune et en lait, ils sont comme de l’or vierge, ils sont comme de la vapeur d’eau, comme des blancs d’œufs battus en neige.

Cependant, le jeune premier vient d’acheter un canot à moteur.

Il est dans son canot à moteur, avec des provisions et une chemise bouffante tenue serrée autour des reins par une large ceinture, sous un casque de liège.

Justement, ce jour-là, elle nageait au large de l’île et les bêtes sauvages l’attendaient sur le bord, assistant de loin à ses jeux.

On l’a vue élever sa tête et sa poitrine au-dessus de l’eau qu’elle refoule sous ses coudes comme des coussins de plume ; puis soudainement se détourne, plonge, disparaît.

On la voit fuir sur le rivage, elle escalade les rochers.

Il se met debout dans son canot à moteur ; il va prendre dans la cabine une longue-vue.

Elle fuit toujours parmi les lentisques, sous son voile glorieux. Ses mollets sont forts. Elle franchit une passerelle de lianes jetée par-dessus un affreux précipice.

Ensuite, la voilà de nouveau à l’entrée de sa grotte, où elle se tient accroupie, le menton dans ses mains, tandis qu’on devine plus bas l’orage de théâtre qui soulève dans l’ombre ses seins déjà mûrs, qui valent pourtant chacun plusieurs centaines de milliers de francs…

Et Thérèse compare.

Ses cheveux, ses bras, son cou, sa gorge ; et tantôt elle a peur, tantôt elle se rassure.

Elle a pour elle la jeunesse, ses dix-huit ans. Elle s’est acheté secrètement du rouge, du noir, de la poudre.

Tout le temps elle va là-bas et s’en va hors d’elle-même, se refaisant à l’image de l’autre, comme quand un peintre peint un portrait.

Allant chercher à chaque arrangement nouveau la présence et le consentement du modèle, parce qu’il y a dans le mur devant elle comme une fenêtre : et là-bas c’est elle, ici c’est moi…

Le jeune premier, pendant ce temps, a abordé ; tout s’arrange. Le jeune premier et la grande vedette partent ensemble.

On les voit assis l’un à côté de l’autre dans l’express qui les emmène à cent kilomètres à l’heure, avec de magnifiques valises de cuir.

Thérèse recule, penche la tête, la relève. Elle en examine encore chaque partie, minutieusement. Elle a de la pâte à ongles, elle a du rose pour les ongles, elle a de la pierre ponce. Le boulanger disait déjà, quand elle n’avait pas encore quatorze ans : « Qu’est-ce qui t’arrive, Thérèse ? » et s’arrêtait de peser son pain pour la regarder, avec un sourire, tenant la main sur la barre de cuivre le long de laquelle on déplace le poids, mais il oubliait de le déplacer…

De la pierre ponce pour la peau et du blanc ; il y a ces magnifiques valises de cuir sur le filet, et lentement le filet penche, se redresse…

Et le vieux M. Perrelet, l’ancien juge de paix, qui marchait à tout petits pas sur le trottoir avec sa canne, s’arrêtait, malgré le monde, quand elle passait, et se détournait : alors pourquoi pas ? pense Thérèse, pourquoi pas Marcel et moi ?

Pendant qu’elle ajoute du rouge, pendant qu’elle se passe de nouveau le crayon sur la bouche.

Il y a quelque chose qu’on met sur les cils ; il y a aussi des gouttes qui font briller le blanc de l’œil.

Elle fait monter ses lèvres contre ses dents comme quand on veut mordre. Elle frotte ses bras du plat de la main, l’un et l’autre, pour les polir…

III

Il faut dire que nous sommes ici une petite ville de quatre ou cinq mille habitants, pas plus, et qui s’était toujours tenue en dehors de la circulation.

Nous sommes bien sur la ligne des grands rapides internationaux, mais ils passent sans s’arrêter.

Nous avions avant tout le souci de nos aises ; et peut-être bien que, de tous les plaisirs de la vie, boire notre petit vin entre amis était encore celui qu’on prisait le plus ; – nous, vignerons, gens de petits métiers, gens de bureau, gens de boutique, mis sous un beau soleil devant une belle eau, quatre ou cinq mille, parmi nos vignes.

On s’était toujours tenus dans un juste milieu, c’est-à-dire qu’on n’était ni trop riches, ni trop pauvres ; on se contentait de peu ; il nous suffisait que les enfants fussent en bonne santé, comme c’était généralement le cas, la femme d’humeur pas trop difficile, comme c’était aussi généralement le cas ; faisant à l’occasion un peu de politique, juste ce qu’il en fallait ; ayant d’ailleurs nos journaux, leurs nouvelles, le train train de la vie de chaque jour.

On n’avait jamais cherché à savoir ce qui se passait au delà des choses familières qui bornaient notre vue ; elles pendaient autour de nous, toutes proches de nous, et de tous les côtés, étant de l’air, étant de l’eau, étant de la terre et de la roche, comme quatre murs qu’on pourrait peut-être percer, mais on n’en avait pas envie.

On allait avec nos yeux contre elles sans irritation de les trouver là, au contraire, parce qu’elles étaient, à ce qu’on disait, parmi les plus belles du monde, si bien qu’on se rattrapait sur la qualité…

La cause de tout le changement a été une proposition qu’une Société anonyme avait adressée à la municipalité, lui offrant de prendre en location une salle qu’on appelait la salle communale. Cette salle communale, comme le nom l’indique, avait été construite par la commune, quelques années auparavant, pour servir de centre de réunion aux diverses sociétés de la ville. Or, il s’était trouvé qu’elle n’avait, pour ainsi dire, jamais été utilisée. On se plaignait qu’elle fût mal chauffée, mal éclairée, mal aérée, mal située, trop grande d’ailleurs, peu commode ; et c’est ainsi qu’après un ou deux essais malheureux, la plupart des manifestations collectives, bals, concerts, fêtes de tout genre, avaient recommencé à avoir lieu aux Trois Chasseurs, où on avait, en outre, le boire et le manger sur place, ce qui est à considérer. La Société en question ne devait pas ignorer ces circonstances ; il était naturel qu’elle cherchât à en tirer parti. Son offre, d’autre part, était tout à fait raisonnable. Les six mille francs de loyer annuel qu’elle offrait représentaient un revenu de 6 pour 100. Après un premier examen, la lettre fut donc lue en séance ; de quelque manière qu’on la retournât, la proposition parut avantageuse. Il y avait à tenir compte, en effet, de la situation des finances municipales qui était loin d’être brillante ; il y avait aussi certaines questions d’amour-propre qui n’étaient pas sans jouer leur petit rôle dans le débat.

L’opposition n’en fut pas moins très forte. Plusieurs de ces messieurs du conseil se méfiaient, parce qu’ils se méfiaient de toute nouveauté. Ils firent toutes sortes d’objections. Et, quand on fut enfin forcé de passer au vote (car on était en septembre et la salle devait ouvrir avec la saison d’hiver, c’est-à-dire au milieu d’octobre), les oui l’emportèrent bien, mais ils ne l’emportèrent que d’une voix ; encore ce résultat ne fut-il obtenu qu’après que toute espèce de restrictions eurent été introduites dans le contrat, dont l’une spécifiait qu’il ne serait valable qu’à titre d’essai pour une année, tandis qu’une autre clause donnait à la commune, dans certains cas prévus, un droit de résiliation immédiate.

On fit un achat de toile blanche, on fixa au-dessus des fenêtres des stores noirs.

La salle n’avait de fenêtres que d’un côté, le jour n’entrait que d’un côté et pauvrement ; même le peu de fenêtres qu’il y avait furent bouchées, même ce pauvre jour fut supprimé.

On n’eut alors qu’à dérouler les stores ; et là, dans le fond de la nuit, au milieu de ce petit quartier avec ses ruelles sans air, presque toujours désertes, en ce mois d’octobre, parmi nos vignes ; dans le bas du mont qui est comme un mur d’un côté et il y a le mur des montagnes de l’autre ; sous le ciel bas, dans le silence, – là, on a commencé par un morceau de piano, puis une fenêtre a été ouverte, au fond de la salle, sur le monde.

Une grande lumière carrée s’est allumée devant vous, qui vous teniez alignés sur les mauvais bancs de sapin passés au brou de noix, avec des numéros en carton ; et des hommes à chapeaux de feutre, un mouchoir autour du cou, vous sont arrivés dessus au galop de leurs chevaux.

IV

Comme le printemps venait, Mme Joël avait été tout heureuse de voir que son fils Louis semblait s’être fait sans trop de peine à l’idée de ce mariage, et ainsi, se disait-elle, il serait « casé ».

Mme Joël s’était dit qu’une femme était encore le vrai moyen, sinon le seul, de le ramener à la bonne vie ; et, s’étant donc mise à lui en chercher une, il y avait eu cette Suzanne Bonjour, dont elle avait jugé qu’elle ferait parfaitement l’affaire, si seulement elle était consentante, mais elle l’avait été très vite, à supposer qu’elle ne le fût pas depuis longtemps.

La boutique de blanchisseuse où cette Suzanne Bonjour travaillait était deux ou trois maisons seulement plus loin que celle que Mme Joël et son fils habitaient ; chaque jour, Suzanne le voyait passer plusieurs fois de l’autre côté du vitrage, quand elle, à une table recouverte de plusieurs épaisseurs d’étoffe, pesait des deux mains sur la plaque, faisant s’élever une vapeur.

Il passait, il passait de nouveau : il avait cet air triste et absent dont le cœur des femmes s’émeut volontiers ; il n’avait même jamais regardé du côté de Suzanne, parce qu’il marchait la tête basse, mais c’est peut-être une raison de plus…

Si bien que Mme Joël n’avait eu qu’à entrer un jour dans la boutique, – n’ayant que ce fils au sujet duquel elle se tourmentait grandement depuis qu’il était de retour, et déjà avant son départ, puis pendant ses cinq ans d’absence, car il avait été absent pendant plus de cinq ans, ayant couru les terres et les mers, ayant fait à ce qu’il racontait plusieurs fois le tour du monde.

Son humeur l’empêchait de tenir en place nulle part. À seize ans, Mme